mercredi 4 avril 2018

DAREDEVIL, VOLUME 2 : SUPERSONIC, de Charles Soule, Matteo Buffagni, Goran Sudzuka et Vanesa Del Rey


Derrière cette superbe couverture de l'immense Bill Sienkiewicz, se cachent quatre nouveaux épisodes (deux pour chaque histoire) et le premier Annual de la série Daredevil, écrite par Charles Soule. Encore une fois, on a droit à un contenu inégal mais surprenant, déconcertant même, si bien qu'on ne sait pas toujours vraiment quoi en penser même si ça se lit tout seul.


Blâmé par le procureur de Manhattan, Hochberg, après l'échec de son premier cas (voir le tome précédent), Matt Murdock doit se contenter de ne poursuivre que du menu fretin. Mais que fait Elektra dans la cour du tribunal où il fait condamner un délinquant ordinaire ? Elle est venue l'inviter à prendre un verre pour lui demander de lui organiser un rendez-vous avec Daredevil (elle aussi, donc, a tout oublié du fait que le procureur et le justicier sont le même homme). Le soir, sur un toit d'immeuble, il la retrouve mais elle l'attaque sauvagement, écartant aussi Blindspot en lui cassant un bras. Puis elle finit par l'interroger sur ce qu'il a fait de sa fille...


Daredevil calme difficilement Elektra en la convainquant qu'il ignorait qu'elle avait un enfant, une fille de onze ans maintenant, prénommé Iona, confiée à leur mentor, Stick. Comprenant qu'elle ne tirera rien de son adversaire, Elektra se défile mais Daredevil la suit et la voit tuer des malfrats. Seul l'un d'eux s'en sort en lui glissant une phrase à l'oreille qui lui fait perdre connaissance : elle a été conditionnée mentalement pour croire à sa maternité. Mais qui a voulu ça ?


Macao. Matt Murdock sous le nom d'emprunt de Paul Levasseur dispute une partie de poker et remporte une mise énorme, ce qui attire l'attention d'une séduisante jeune femme, Adhira. Il s'en va ensuite se mesurer à un champion, Alexander Aspen, dont il sait le don de télépathe. Mais, l'affrontant aussi bien aux cartes qu'en esprit, il parvient à nouveau à gagner la partie. Adhira n'en revient pas et l'invite à prendre un verre mais il doit refuser car il a un rendez-vous. Depuis la suite luxueuse à laquelle ses victoires lui ont donné droit, il monte, en costume de Daredevil, sur le toit de l'hôtel où l'attend Spider-Man.


Ensemble, les deux héros vont dérober, non sans mal, une précieuse mallette convoitée par DD. Mais Spider-Man s'interroge sur son contenu qu'il estime aussi délicat que dangereux et refuse de la remettre à son partenaire. Daredevil le convainc en lui racontant qu'elle contient ce qui lui permet de préserver sa double identité et de quoi faire tomber plusieurs super-vilains à New York.
  

- Annual #1 (dessiné par Vanesa Del Rey.) - Klaw possède le public d'un concert auquel assiste Maya Lopez alias Echo, insensible à cette attaque sonore grâce à sa surdité. Elle va prévenir Daredevil de ce qui se passe tout en lui fournissant une protection auditive avec un casque relié à un téléphone portable diffusant de la musique (Prince !). Elle s'isole dans le studio d'une station-radio où, sur un clavier, elle improvise un air capable de contrer la fréquence de Klaw tandis que Daredevil se bat contre les créatures acoustiques générées par le vilain.

Quand on lit les histoires de Charles Soule dans ce recueil, on ne sait pas s'il faut être sidéré par la désinvolture avec laquelle il les boucle (et donc s'amuse visiblement du lecteur) ou épaté par ce même culot à convoquer des guest-stars juste parce qu'elles présentent un lien avec Daredevil sans lui accorder la moindre confiance.

Il y a quelque chose d'insouciant dans cette façon d'écrire, comme si au fond l'essentiel était de divertir le lecteur. Mais c'est tout de même déconcertant car, dans le même temps, il évacue des pans entiers de ce qu'il vient d'installer (Blindspot est vite écarté et ne reparaît plus, Murdock placardisé se paie quand même un voyage à Macao) ou se dispense toujours d'expliquer des points décisifs (on n'en sait toujours pas plus sur le comment DD a réussi à effacer de la mémoire collective qu'il est Matt Murdcok, même s'il avoue à Spider-Man en avoir été seul capable).

Reprenons. Dans les deux premiers épisodes, en compagnie du dessinateur Matteo Buffagni (qui a illustré le mois dernier Astonishing X-Men #8, écrit par Soule), DD a fort à faire pour empêcher Elektra de le trucider, car elle est persuadée qu'il a fait enlever sa fille. Le lecteur est aussi estomaqué que le héros en apprenant que la tueuse est mère, d'une gamine de onze ans, confiée à Stick après qu'il l'ait entraînée !

Lorsqu'elle croit enfin que DD n'y est pour rien, la voilà qui part poignarder quelques malfrats avant que le dernier d'entre eux ne se débarrasse d'elle d'une simple phrase et qu'on saisisse qu'elle a eu le cerveau lavé pour lui faire croire à sa maternité, cette histoire d'enlèvement, tout cela pour la faire souffrir.

Mais qui a voulu lui en faire baver ainsi ? Mystère et boule de gomme ! J'ai, je vous l'avoue, éclaté de rire en terminant la lecture de la dernière page, devant le je-m'en-foutisme absolu de Soule, qui me plantait là après quarante pages accrocheuses mais sans aucune résolution. A croire que tout ça n'était qu'un prétexte pour sceller les retrouvailles entre Elektra et Daredevil après un affrontement musclé. Peut-être ai-je loupé une subtilité narrative, mais tout de même...

Heureusement, ces deux chapitres sont superbement mis en images par Buffagni, qui succède provisoirement à Garney (qui revient pour le troisième tome). Il modifie d'ailleurs quelques détails de son collègue avec le masque de DD ou ses bottines, rien d'énorme. En revanche, il anime son découpage avec beaucoup plus d'invention (comme en témoigne la double page plus haut), en jouant beaucoup sur l'horizontalité et la verticalité des cases et les angles de vue (de superbes plongées, où Elektra domine nettement Daredevil). On peut en revanche être plus embarrassé quand l'italien s'efforce de faire ressembler Murdock à Charlie Cox, l'acteur qui l'incarne dans la série Netflix, mais peut-être s'agit-il d'une contrainte éditoriale. La colorisation de Matt Milla est toujours aussi stylisée et assure une cohésion graphique au titre, quel que soit le dessinateur.

On passe ensuite à une aventure, à nouveau en deux temps, plus convaincante scénaristiquement, quoique fantaisiste. En effet, Murdock s'est déplacé à Macao, la ville du jeu en Chine, ce qui n'est pas un petit voyage, surtout pour un procureur new-yorkais, qui plus est dans la situation rétrogradée par son supérieur de s'occuper de petits délinquants (après le fiasco du témoignage de Billy Li). Mais pour Soule, ce n'est pas si grave visiblement : Matt Murdock doit avoir un bas de laine lui permettant ce genre de congé et un patron sévère certes mais pas trop strict sur l'absence de son subalterne...

Donc, Murdock sous un faux nom (français, ce qui n'est par contre pas innocent puisque le scénariste adresse un hommage au deuxième arc narratif de Brubaker quand le héros en cavale usait de la même ruse à Monte-Carlo) remporte gros au poker contre toute une tablée puis un télépathe. Mais c'est une fausse piste pendant tout un épisode avant qu'à son tour Soule n'abatte ses cartes. DD n'est pas là (que) pour faire le mariole au casino, il veut dérober une mallette très bien gardée avec l'aide de Spider-Man (qui n'était pas loin, puisque Dan Slott a fait de Peter Parker un chef d'entreprises, notamment au pays du soleil levant).

On assiste à une suite de baston, d'acrobaties, de poursuites dépaysantes et mouvementées sans que l'issue ne soit un mystère (après tout, leurs adversaires ne sont que de vulgaires porte-flingues comme ils en ont tabassés des paquets durant leurs carrières). Mais, à la fin de la course, Spidey se demande quand même pourquoi DD veut tellement cette valise. L'explication fournie est de toute évidence un gros baratin, comme l'indique la voix-off de "tête à cornes"... Mais ça ne veut pas dire que le lecteur saura la vérité une fois le tisseur embobiné !

Encore une fois, Soule nous roule dans la farine avec un bon vieux "McGuffin" (ici, la mallette convoitée dont on ne saura jamais ce qu'elle contient vraiment). Se faire avoir une fois (avec Elektra et sa fausse maternité), c'est marrant. Deux fois, c'est plus limite. Alors pourquoi ce risque ?

La réponse que j'ai trouvée (et qui vaut ce qu'elle vaut) est que tout réside dans le symbole : Daredevil est un aveugle mais qui, à bien des égards, voit mieux que nous (grâce à ses sens sur-developpés, son sens-radar, sa connaissance de la nature humaine...). Le lecteur est comme Blindspot, à se demander sans cesse comment il sait à l'avance où ça se passe et surtout comment ça va se dérouler. Il devine qu'Elektra n'est pas dans son état normal, il connaît la manière de mentir à Spider-Man, et il sait embarquer le lecteur en lui offrant ce qu'il attend (de l'action, une énigme) mais sans forcément lui expliquer le truc de son numéro. Si on accepte cette logique, ici poussée à l'extrême, alors Soule est un génie, prenant notre main et nous emmenant sur les traces de son héros en nous garantissant qu'on aura ce qu'on cherche... Avant de nous lancer, in fine, que nous sommes bien naïfs d'y avoir cru, comme si un magicien dévoilait ses secrets. (Ou alors, Soule est un escroc évidemment, qui nous allèche salement avant de nous ricaner au nez pour l'avoir cru.) En somme, donc, il y a ce qu'on voit (une BD super-héroïque pleine de péripéties et de rebondissements et juste ça) et ce que c'est (une BD super-héroïque pleine de péripéties et de rebondissements mais avec de fausses promesses de révélations).

Pour illustrer ça, Goran Sudzuka est un choix judicieux : son dessin clair, élégant, classique, sans aspérités, presque trop ou pas assez, souligne l'ambivalence de la démarche de Soule. D'un côté, c'est agréable à lire, joli à regarder, exécuté consciencieusement. Mais pour mieux nous abuser, de l'autre. Plus à l'aise dans les scènes calmes, le dessinateur prouve quand même que lorsque le mouvement prend l'avantage, il produit des planches bien composées, avec un degré de détails élevés (sans doute avec l'aide de l'infographie, comme Buffagni, mais bien intégrée). Et la colorisation de Milla fait le reste.

Enfin, l'Annual qui clôt ce recueil est comme le paroxysme du programme : l'argument est franchement pathétique, ramenant d'entre les morts Echo, là encore sans la moindre explication, et opposant la justicière sourde et Daredevil à Klaw - comme un autre clin d'oeil au run de Waid. Un court récit écrit par Roger McKenzie, vétéran qui précéda Miller sur le titre dans les années 70, et illustré par un tâcheron dont je n'ai pas retenu le nom, complète ce récit de manière tout à fait dispensable (sachez juste qu'il met en scène Melvin Potter aka le Gladiateur).

Avec (beaucoup) d'indulgence, et grâce aux dessins, on accordera à ce tome du crédit. Mais, en vérité, il faut mieux se réserver pour le tome suivant, plus consistant, avec le retour de Ron Garney et un vilain original et mémorable. 

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