samedi 10 février 2018

MANHUNT - UNABOMBER (Discovery Channel, Netflix)


Produite et d'abord diffusée d'abord sur Discovery Channel, la série en huit épisodes Manhunt - Unabomber, malgré d'excellentes critiques (et une publicité alimentée par une polémique avec d'anciens membres du F.B.I.), a pâti de la comparaison quelques mois plus tard avec le chef d'oeuvre produit par David Fincher, Mindhunter, parce que les deux shows exploraient des territoires similaires. Pourtant, la création d'Andrew Sodroski ne manque pas d'atouts, misant sur un classicisme proche du docu-fiction et réussissant à captiver avec une histoire vraie dont on connait l'issue .

 James "Fitz" Fitzgerald (Sam Worthington)

1993 : James "Fitz" Fitzgerald est diplômé comme profileur et recruté par le FBI pour intégrer l'unité "Unabomb", organisée pour arrêter un terroriste en activité depuis une quinzaine d'années, qui envoie des colis piégés à des universités et des aéroports (Unabomb = UNiversity + A=Airport). Pour le directeur Don Ackerman et son adjoint Stan Cole, le suspect est sûrement un mécanicien frustré sexuellement si on se base une analyse psychologique et des preuves matérielles. 1997 : retiré dans une maison en forêt, "Fitz" est de nouveau sollicité par le FBI pour convaincre Ted Kaczynski alias "Unabomber" de plaider coupable à son procès.

"Fitz" et Tabby (Sam Worthington et Keisha Castle-Hughes)

"Unabomber" menace de faire exploser un avion de ligne et "Fitz doit déterminer si la menace est sérieuse. Mais ses méthodes déplaisent à sa hiérarchie : elles s'appuient sur l'étude linguistique des messages adressées par le terroriste et contredisent le profil déjà établi. Pour le jeune agent, "Unabomber" est au contraire un individu très cultivé, plus âgé, et isolé socialement, nullement en proie à des pulsions sexuelles. 1997 : pour la première fois depuis qu'il a permis son arrestation deux ans auparavant, "Fitz" est confronté à Ted Kaczynski en prison et qui a expressément exigé de ne parler qu'à lui avant son procès. L'agent comprend que le terroriste veut démonter la façon dont il a été confondu.

Natalie Rogers et "Fitz" (Lynn Collins et Sam Worthington)

1995 : Pour étayer ses recherches, "Fitz" requiert l'aide d'une enseignante indépendante en linguistique, Natalie Rogers. Ensemble, ils progressent rapidement pour définir la personnalité de "Unabomber" à partir d'un manifeste qu'il a fait parvenir au FBI pour qu'il soit publié dans un grand quotidien de la Côte Ouest. Ce texte intitulé "La société industrielle et son avenir" dénonce les dérives technologiques qui ont fait de l'individu une créature dépendante des outils modernes, sans lesquels elle connaîtrait la paix et serait structurellement plus solide. 1997 : Ted clame qu'il peut faire invalider toutes les preuves qui l'accablent à partir de la méthodologie employée par "Fitz" et compte se servir de son procès pour humilier l'agent et en faire une tribune publique pour développer ses idées.

Don Ackerman (Chris Noth)

les investigations étant infructueuses avec les procédés classiques de l'institution (notamment l'établissement d'un profil par regroupement de données informatiques), "Fitz" pousse Ackerman à convaincre l'Attorney General (la Ministre de la Justice) Janet Reno de faire publier le manifeste d'"Unabomber" qui a promis, en échange, de cesser ses attentats. Le FBI tend un piège d'envergure en se concentrant sur l'unique kiosque à San Francisco à vendre le "Post" dans lequel le texte sera  imprimé, persuadé que le terroriste viendra y acheter un exemplaire. Mais l'opération se solde par un échec : "Fitz" est remercié et renvoyé à l'ATF, son ancien service.

Davic et Ted Kaczynski (Mark Duplass et Paul Bettany)

Les recherches linguistiques menées par "Fitz" et Natalie Rogers à partir du manifeste continuent malgré tout et permettent au profileur de dresser un portrait imparable du terroriste. En disposant grâce à Tabby, sa partenaire au FBI, de copies de la liste des suspects, "Fitz" désigne Ted Kaczynski comme étant "Unabomber". Sa théorie se vérifie quand la belle-soeur de ce dernier reconnaît le style de Ted dans le manifeste publié par le "Post" et convainc David Kaczynski de dénoncer son frère après que l'agent lui en ait dressé un portrait psychologique saisissant.  

Ted Kaczynski (Paul Bettany)

Depuis la cabane dans les bois qu'il construisit avec son frère et où il vit en ermite, Ted écrit à David pour lui détailler comment, depuis son adolescence, une succession d'expériences traumatisantes l'ont détruit moralement et motivé à commettre des attentats : élève surdoué, il a sauté plusieurs classes, est entré à l'université précocement et y a été remarqué par Henry Murray, psychologue établissant avec les services secrets une technique de lavage de cerveau sur des étudiants ciblés pour leurs capacités intellectuelles mais aussi sur leurs failles émotionnelles. Devenu un de ses cobayes pour démontrer sa supériorité face à ces procédés, Ted a quand même été brisé et est devenu animé par un puissant désir de revanche sur le système. Désormais, pourtant, il a le sentiment d'être arrivé, avec la publication de son manifeste, à la fin d'un cycle, convaincu que son texte et ses idées vont profondément altérer la société.

Ted Kaczynski et Stan Cole (à sa gauche) (Paul Bettany et Jeremy Bobb)

"Fitz" revient à FBI et expose rapidement mais de façon imparable le profil qu'il a dressé et qui désigne Ted comme étant "Unabomber", s'appuyant non seulement sur une analyse poussée du manifeste, de la liste des suspects mais aussi sur la correspondance des frères Kaczynski sur plus de trente ans. Le terroriste est localisé et le FBI prépare son arrestation. Mais "Fitz" doit encore convaincre un juge de signer un mandat de perquisition en le convainquant de la culpabilité de Ted. Ackerman et Cole doivent, eux, empêcher les médias, intrigués par les mouvements d'agents dans la région, de faire capoter l'opération.   

"Fitz" et Kaczynski 

1997 : au début de son procès, Ted découvre que ses avocats, contre son avis, vont plaider la folie pour réduire sa peine, lui éviter la peine de mort. "Fitz", dont le couple n'a pas résisté à son implication totale dans l'enquête deux ans auparavant et qui a également dû sacrifier sa partenaire Tabby (en la devant la dénoncer pour lui avoir réclamé la liste des suspects alors qu'il avait été renvoyé du FBI) et Natalie (dont il avait repoussé les avances), est seul pour persuader une dernière fois Ted de plaider coupable : il le convainc de la duplicité de ses défenseurs et de sa réelle admiration pour son intransigeance intellectuelle. Kaczynski change de tactique et est logiquement condamné à perpétuité. "Fitz" retrouve Natalie qui est venue partager sa victoire.

Comme je prévenais en ouverture, comparer frontalement Mindhunter et Manhunt - Unabomber dessert stylistiquement le second tout en soulignant la vanité de ce duel. La production de David Fincher était une exploration de la psyché des tueurs en série quand le FBI en était encore à se demander si le profilage était un moyen efficace de les définir ainsi et de les arrêter. Toute la première saison s'appuyait sur des échanges en deux agents qui mettaient au point une technique et découvraient qu'il n'existait pas qu'un genre de criminel.

Le show créé par Andrew Sodroski pour Discovery Channel (qui a fini par être rediffusé sur Netflix au moment où était proposé Mindhunter) joue davantage la carte du thriller, mais sans sacrifier totalement à ses codes. En vérité, il peut se considérer comme le complément de Mindhunter puisque les faits relatés ici sont tous vrais (ou en tous cas à 90%, puisque des événements et des personnages ont été condensés) et que le terme de l'aventure est connu ("Unabomber" a été arrêté et condamné). Le vrai lien entre les deux programmes est leurs héros : James Fitzgerald est, comme Holden Ford et Bill Tench, un précurseur. Ce statut lui vaut la méfiance, la défiance même, de ses collègues et sa hiérarchie pour qui ses méthodes sont au mieux farfelues, au pire une perte de temps et d'argent.

Mais, plus fortement encore que dans Mindhunter, ce que Manhunt - Unabomber souligne, c'est la notion de sacrifice et le motif du transfert. Quand Fitzgerald est recruté par le FBI pour intégrer l'unité "Unabomb", il a déjà la trentaine et végète dans une brigade appréhendant des grafffeurs, parce qu'il a eu le malheur de refuser de faire sauter des contraventions à un ami de son supérieur. Ce qui lui a permis d'être remarqué, ce sont ses excellentes notes au concours. Mais on lui fait ensuite vite comprendre que, si doué soit-il, il n'est qu'un rouage dans une machine complexe où seuls valent les preuves matérielles et où l'analyse par des moyens informatiques est devenue la nouvelle tendance.

"Fitz", lui, invente, sans même s'en rendre compte, une nouvelle méthode de profilage en ne se basant pas sur les clichés psychanalytiques appliqués à la criminologie (la frustration sexuelle, le manque d'éducation, la soif de revanche sociale motivant les terroristes) : il s'appuie sur le langage, la façon d'articuler la pensée, de formuler les idées, il cherche littéralement le diable dans les détails. Une investigation laborieuse, exaspérante, qui repose sur des suppositions, des recoupements, des accumulations, des indices ténus. Tout ce qui horripile une administration pressée par le temps, exigeant des résultats, soumise à la pression politique et médiatique.

Le récit s'étale sur la la période 1993-1997, du recrutement de "Fitz" au procès de Ted Kaczynski, avec entre les deux l'année 1995, déterminante à tous points de vue, puisque c'est alors qu'est publié le manifeste d'"Unabomber", le document essentiel pour le comprendre, l'identifier, le localiser, et le confondre. De 93 à 95, Fitzgerald perd et gagne tout : son implication totale dans l'enquête, son isolement au sein du service, les humiliations subies par son supérieur Cole (Jeremy Bobb absolument infect), le manque de considération de son chef Ackerman (Chris Noth aussi fébrile que dédaigneux), ont raison de sa famille (sa femme finit par le quitter, il ne voit plus ses enfants), de ses partenaires (Tabby sera virée pour l'avoir aidé quand il aura été un temps écarté de l'affaire et il la dénoncera pour pouvoir être réintégré, Natalie Rogers qui croira à une attirance mutuelle découvrira qu'il s'est d'abord servi d'elle comme d'une ouvrière). Mais sa pugnacité surhumaine (et contestée aujourd'hui par ses collègues de l'époque) lui permettent de percer à jour "Unabomber", d'en dresser le portrait parfait, puis de corroborer sa thèse grâce à la correspondance transmise par David Kaczynski : autant d'éléments qui auront raison des doutes de sa hiérarchie et permettront l'arrestation de Ted Kaczynski.

Il y a donc une part de chance malgré tout dans le travail de fourmi de "Fitz" (sans la dénonciation de David Kaczynski, tout se serait effondré). Mais aussi une aliénation, presque une contamination du détective par le criminel : Ted Kaczynski était effectivement un esprit supérieur à celui de Fitzgerald - plus âgé, plus diplômé, plus extrême. Dans sa radicalité, "Unabomber" n'a commis qu'une erreur : en voulant être reconnu pour ses idées, dont il était convaincu qu'elles changeraient positivement la société, mais en recourant à la violence pour d'abord se venger d'institutions et d'instruments qui l'avaient martyrisé et qui résumaient son aversion pour la modernité corruptrice, il a voulu comme il l'écrivait "avoir l'argent du beurre et le beurre" (la série explique d'ailleurs qu'il s'agit là de l'expression exacte, contrairement à ce que tout le monde croit), être en dehors du monde pour ne pas être infecté par lui tout en aspirant à être célébré par cette société qu'il abhorrait. 

La série montre, de façon vertigineuse, comment le Mal incarné en croisant celui qui le terrassera l'influence étonnamment : "Fitz", littéralement vidé par ces années dévouées à capturer Kaczynski, qui a vu ses collègues être félicités à sa place (s'appropriant même le mérite d'avoir créé la linguistique judiciaire qu'il avait mis en forme), part vivre dans les bois, comme "Unabomber", jusqu'à ce que le FBI lui demande de revenir pour persuader Ted de plaider coupable. C'est un subtil mélange d'orgueil (parvenir à convaincre le terroriste) et de peur (la probabilité réelle qu'il s'en sorte si ses avocats plaident la folie) qui motive l'agent spécial à accepter cette mission, dont le processus ne diffère guère de sa précédente tâche : encore un fois, il faut éplucher des dossiers, des notes de bas de pages, trouver la faille, disputer une partie d'échecs, avoir un coup d'avance. S'il ne s'agit plus d'anticiper un attentat, il faut empêcher un criminel d'éviter la prison.

Dans ce jeu où vérité, conviction et justice s'entremêlent, le duo-duel, souvent à distance (car, contrairement à Mindhunter, les face-à-face entre Fitzgerald et Kaczynski sont rares - d'ailleurs, en réalité, l'agent n'a jamais rencontré le terroriste), entre Sam Worthington (d'une sobriété formidable, quasi-autiste, fuyant la performance - ce qui explique sans doute pourquoi, malgré un premier rôle dans le triomphal Avatar de James Cameron, l'acteur australien ne réussit pas à devenir une vedette hollywoodienne) et Paul Bettany (confondant, même s'il faut vraiment attendre les trois derniers épisodes pour que le comédien dispose d'assez de scènes pour démontrer la qualité impressionnante de son interprétation) atteint des sommets d'intensité. Serrer un coupable aussi retors fournit une matière fabuleuse et excitante au possible.

Sans diminuer Mindhunter, plongez dans ce Manhunt - Unabomber (en prévision de futures saisons relatant d'autres "chasses à l'homme" célèbres ?) : passionnant, vibrant, c'est une vraie réussite.         

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