samedi 6 août 2016

Critique 970 : UN HOLD-UP EXTRAORDINAIRE, de Ronald Neame


UN HOLD-UP EXTRAORDINAIRE (en v.o. : Gambit) est un film réalisé par Ronald Neame, sorti en salles en 1966.
Le scénario est écrit par Jack Davies et Alvin Sargent, d'après une histoire de Sidney Carroll. La photographie est signée Clifford Stine. La musique est composée par Maurice Jarre.
Dans les rôles principaux, on trouve : Michael Caine (Harry Tristan Dean), Shirley MacLaine (Nicole Chang), Herbert Lom (Ahmad Shahbandar), John Abbott (Emile Fournier).
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Deux aigrefins, Harry Tristan Dean, un escroc anglais, et Emile Fournier, un sculpteur de copies, assistent à la prestation de danseuses exotiques en attendant que la meneuse de la revue, Nicole Chang, ait terminé et vienne se délasser en buvant un verre en salle.
Harry va l'aborder et lui remet quelques pièces, suffisamment pour la convaincre de venir s'installer à la table qu'il partage avec son complice. Les présentations faites, il lui propose de les aider en échange d'une coquette rétribution de 5 000 $.  
 Nicole Chang et Harry Tristan Dean
(Shirley MacLaine et Michael Caine)

Le plan se déroule idéalement : grâce à la ressemblance troublante de Nicole avec un buste de l'impératrice Nissu et de la défunte épouse de Ahmad Shahbandar, "l'homme le plus riche du monde", propriétaire de la sculpture), ce dernier invite aussitôt que ses espions l'ont averti de l'arrivée des faux époux Dean et les invite à dîner. Harry en profite, avant le repas, pour effectuer d'ultimes repérages tandis que leur hôte leur montre sa collection d'oeuvres d'art, dont le fameux buste.
Prétextant un appel téléphonique à passer à des clients, Harry confie Nicole aux bons soins de Shahbandar. 
 Ahmad Shahbandar et Nicole Chang
(Herbert Lom et Shirley MacLaine)

Tandis que la jeune femme sort, après s'être restauré avec le milliardaire, assister à une revue dans un club select, Dean revient chez Ahmad, neutralise les gardes et les employés et dérobe le buste. A l'heure convenue, Nicole s'absente pour aller se rafraîchir dans les toilettes, le prétexte pour fuir et rejoindre Harry à l'aéroport où il lui remet un faux passeport et les 5 000 $ promis.
Nicole et Harry

Mais tout cela, c'est le plan parfaitement accompli tel que l'a imaginé Harry Dean. 
La réalité sera beaucoup plus compliquée : Nicole acceptera d'aider les deux filous à contrecoeur, Shahbandar ne sera pas un pigeon aussi facile à plumer, le buste est extrêmement bien protégé... Et, enfin, le mobile de ce vol audacieux n'est pas du tout celui qu'on croit !

Il y a à peine quinze jours de cela je ne savais rien de l'existence de ce film : j'en ai entendu parler pour la première fois quand, participant à un jeu consistant à établir une liste de cent films "marquants", un forumeur posta un lien dévoilant les mille films préférés de Edgar Wright (Scott Pilgrim, Shaun of the Dead). Une vraie salle aux trésors, classés par ordre chronologique, alternant classiques, chefs d'oeuvre, séries B, plusieurs nationalités et genres !

Et parmi cette collection folle, dont le nombre dénature la notion même de liste à vrai dire, mon attention a été attirée par quantité de films dont je n'avais jamais eu connaissance. Illustré par une petite photo (qui en cliquant dessus renvoie à des précisions), l'un d'eux m'a fait de l'oeil dans les oeuvres des années 60 puisque j'y reconnus une de mes actrices favorites, Shirley MacLaine : Un hold-up extraordinaire, de Ronald Neame, sorti en 1966.

Je me suis informé à son sujet en veillant toutefois à ne pas être spoilé car il s'avérait que c'était un caper-film, un film de braquage reposant sur un twist narratif. Puis j'ai cherché une copie en dvd mais sans réussir à en trouver une à un prix raisonnable. Alors j'ai entrepris de le visionner en streaming.

1966 : Michael Caine est alors auréolé du succès critique (ce qui lui a valu une nomination à l'Oscar) et public de Alfie (de Lewis Gilbert) et Hollywood lui ouvre donc ses bras en lui offrant le premier rôle de ce Gambit mis en scène par Ronald Neame. Le scénario dose parfaitement suspense, action et humour, un cocktail apte à séduire une grande audience.

De fait, l'histoire repose sur un dispositif très astucieux : pendant la première demi-heure (sur les les 105' totales du film), on assiste, bluffé, à un casse audacieux, spectaculaire et magistralement réussi. Un bandit vole une sculpture rarissime à un veuf milliardaire avec la complicité d'une danseuse exotique qui ressemble étonnamment à la femme de leur victime et une impératrice légendaire. Tout ça a un charme rétro pop irrésistible, à l'image de l'élégance arrogante du personnage de Caine à qui tout réussit : il recrute Shirley MacLaine (qui ne dit pas un mot pendant trente minutes !) et dépouille sa cible (Herbert Lom déguisé comme un bourgeois indien de carte postale). Et voilà, c'est fini !
  
Fini ? Pas tout à fait, et même pas du tout car entre la théorie et la pratique, le plan exposé et exécuté, il y a un monde. Et c'est en fait là que le film (re)commence vraiment !

Tout ce qu'on vient de nous raconter et montrer n'est pas un mensonge mais une fiction, une illusion, un fantasme. Maintenant, nous allons assister au déroulement réel de l'opération : les déconvenues se multiplient - Nicole Chang devine tout de suite qu'elle a affaire à des filous, rechigne à les assister, accepte à contrecoeur, parle beaucoup et souvent pour protester, pinailler. Non sans raison : la machination ourdie par Harry Dean repose sur trop d'impondérables et de providences. Surtout Ahmad Shahbandar n'est pas l'homme attendu : loin d'être un veuf mélancolique et pittoresque, aveuglé par un sosie de son épouse et de l'impératrice, c'est un homme d'affaires avisé, prudent, amoureux de gadgets sécuritaires sophistiqués et secondé par un bras droit encore plus prudent. Il découvre très vite que "Lord et Lady" Dean sont des imposteurs, convoitant visiblement un de ses précieux biens, et il va s'amuser au chat et à la souris avec eux.

Dans ce jeu de dupes, personne n'est qui il paraît être, chacun interprète un personnage, se sourit aimablement en attendant que son interlocuteur commette le premier une erreur. Caine et Lom rivalisent de roublardise dans leur face-à-face et MacLaine n'est pas la marionnette docile et naïve espérée mais une jeune femme à la langue bien pendue et aux ressources (notamment physiques) inattendues (la vraie scène du vol de la statuette rappelle aussi que l'actrice a été une danseuse, talent qu'elle aura l'occasion d'afficher pleinement dans Sweet Charity, de Bob Fosse, trois ans plus tard). 

Elle se permet même de supplanter les deux mâles lors de dialogues sur leur culture artistique quand il s'agit d'estimer des tableaux de maîtres ! Savoureux retournement de situation qui démasque Caine, aux origines modestes et donc malaisé quand il doit jouer le mondain blasé : le couple de malfrats est animé sur des ressorts inhabituels ou c'est la fille qui, finalement, sauve le garçon. En découvrant sa complémentarité avec elle, le voleur prend conscience que celle qui l'a souvent agacé l'attire de plus en plus.

Ronald Neame filme cela simplement, sans esbroufe : il sait qu'il dispose d'un script imparable, avec des personnages bien caractérisés, et surtout une intrigue au crescendo irrésistible. Le climax est une merveille du genre, avec des éléments attendus mais réjouissants (un système de sécurité apparemment inviolable, le vol proprement dit accompli au prix de contorsions redoutables, la fuite compromise jusqu'au bout). Il peut même s'autoriser une toujours périlleuse double fin où, dans un premier temps, la véritable raison de toute cette manigance est franchement surprenante et originale, puis dans un second temps, un dernier clin d'oeil inattendu et délicieusement ironique.

Un hold-up extraordinaire bénéficie aussi, une vraie curiosité vintage, d'une partition originale par Maurice Jarre, qui s'est ostensiblement amusé à composer une bande-son très illustrative, easy listening, comme du John Barry ou Lalo Schiffrin. 

Michael Hoffman s'est cru malin d'en tourner en 2012 un remake sous le titre Gambit, arnaque à l'anglaise, aussi raté que l'original est exquis, avec un transparent Colin Firth et l'horripilante Cameron Diaz, bien évidemment incapables de rivaliser avec le carnassier Michael Caine et la craquante Shirley MacLaine ou l'élégante mise en scène de Ronald Neame. Il y a une forme de justice là-dedans : comme le plan de Harry Dean, il faut se méfier quand on croit faire aussi bien que ce qui est simplement possible...

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