mercredi 6 juillet 2016

Critique 941 : RUSHMORE, de Wes Anderson


RUSHMORE est un film réalisé par Wes Anderson, sorti en salles en 1998.
Le scénario est écrit par Wes Anderson et Owen Wilson. La photographie est signée Robert D. Yeoman. La musique est composée par Mark Mothersbaugh (avec des titres de John Lennon, Donovan, Django Reinhardt, The Rolling Stones, Cat Stevens, The Who, The Kinks).
Dans les rôles principaux, on trouve : Jason Schwartzman (Max Fischer), Bill Murray (Herman Blume), Olivia Williams (Rosemary Cross), Seymour Cassel (Bert Fischer), Brian Cox (Dr Nelson Guggenheim), Luke Wilson (Dr Peter Flynn), Mason Gamble (Dirk Calloway), Sara Tanaka (Margaret Yang), Connie Nielsen (Mme Calloway).
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Fils d'un modeste coiffeur, Max Fischer a pu intégrer la prestigieuse école privée Rushmore grâce à une bourse d'études. Il a fait de l'établissement sa nouvelle demeure, présidant ou étant membre d'une multitude de clubs. 
Max Fischer
(Jason Schwartzman)

Ces activités nuisent cependant à ses résultats, médiocres, malgré son évidente intelligence, et le doyen, le docteur Nelson Guggenheim, le met en garde : s'il n'obtient pas de meilleures notes, il ne pourra pas redoubler ici.
Dr Nelson Guggenheim
(Brian Cox)

C'est en consultant un ouvrage sur le commandant Jacques-Yves Cousteau à la bibliothèque de l'école que Max découvre une citation manuscrite sur une page qui le trouble suffisamment pour qu'il se renseigne sur ceux qui ont emprunté le livre avant lui. Ainsi va-t-il faire la connaissance d'une jeune et très belle professeur, Rosemary Cross, dont il tombe amoureux au premier regard.
Rosemary Cross
(Olivia Williams)

A la même époque, durant le mois de Septembre, il assiste au discours de Herman Blume, un industriel fortuné venu motiver, en des termes singuliers, les élèves. Max est ébloui par l'éloquence de ce self-made man et fait tout pour s'en faire remarquer. L'homme d'affaires sympathise avec ce cancre qui ne manque pas d'aplomb ni d'idées qui vient lui demander de financer un projet fou pour conquérir Miss Cross : la construction d'un aquarium géant.
Herman Blume
(Bill Murray)

Mais l'institutrice, qui porte encore le deuil de son époux, est mal à l'aise à l'idée d'être ainsi courtisée par un adolescent de quinze ans, qui se montre odieux avec un de ses amis, le docteur Peter Flynn.
Dr Peter Flynn
(Luke Wilson)

Herman est sollicité par Max pour implorer le pardon de Rosemary, mais Blume tombe à son tour amoureux d'elle. Les deux soupirants s'affrontent alors, ce qui provoque le renvoi de Fischer. Admis dans une école publique, il attire alors l'attention d'une camarade, Margaret Yang...
Margaret Yang
(Sara Tanaka)

Il y a quelques semaines, j'ai participé à un petit jeu sur le forum Buzzcomics où il s'agissait de dresser une liste de cent films marquants - pas forcément des chefs d'oeuvre unanimement célébrés, mais des longs métrages qui comptent de manière presque intime pour chacun. Les règles, strictes, proposées par celui qui avait eu l'idée de ce défi imposaient de ne pas sélectionner plus d'un titre par réalisateur ni d'en citer un produit après l'an 2000 ni de films d'animation, mais la majorité a préféré laisser parler son coeur et déborder de ces cadres, ce qui a abouti à des top 100 plus fantaisistes et variés. Cela m'arrangeait bien car je n'aurai pas pu me limiter ainsi, notamment pour Wes Anderson.

Rushmore a été un des deux films de ce cinéaste que j'ai élu (l'autre étant son dernier en date, The Grand Budapest Hotel, 2013), mais j'aurai pu donner toute sa filmographie car j'ai vu tout ce qu'il a produit et j'ai tout aimé. Mais c'est avec son deuxième opus que je l'ai découvert en achetant le dvd en 2004.

Je l'ai revu, une énième fois, hier soir. C'est un programme avec lequel je suis sûr d'être comblé, et avec ses 90 minutes, l'affaire est vite pliée - j'apprécie les films concis et denses alors qu'aujourd'hui je suis souvent découragé par les formats très longs de beaucoup de réalisateurs qui semblent tellement désireux de faire un "grand film" et n'arrivent qu'à livrer de "gros films" où on se demande où sont passés le monteur et le producteur.

Rushmore est un de ces films dont je ne me lasse(rai) jamais, un miracle, une pépite, un objet curieux, à la fois drôle, magnifiquement composé, et mélancolique, qui illustre, comme l'écrivit ironiquement le critique Jacques Morice, "l'art de tirer la gueule en beauté".

En le réalisant, Wes Anderson et son co-scénariste, l'acteur Owen Wilson (qui fut devant la caméra du réalisateur auparavant dans Bottle rocket puis ensuite dans La Famille Tenenbaum, La Vie aquatique, A bord du Darjeeling limited, The Grand Budapest Hotel), ambitionnaient de recréer une "fantaise réaliste" inspiré par le romancier Roald Dahl. En se renseignant un peu, on peut ainsi découvrir que, comme Max Fischer, Wilson a été renvoyé d'une école préparatoire et que Anderson partage avec son héros un esprit imaginatif et réfractaire aux institutions. Ces deux tempéraments ont abouti à un univers qui fait penser à un théâtre à la fois loufoque et émouvant (comme les pièces écrites et régies par Max, adaptations jubilatoires de Serpico ou des films de guerre au Vietnam).

Ecrit avant Bottle Rocket, le script transgresse les codes et clichés associés au campus movie : le réalisateur a expliqué que l'idée initiale était de montrer "un gosse de 15 ans et un homme de 50 qui deviennent amis en se considérant comme égaux". Pour pimenter ce postulat, il y ajoute une romance triangulaire dont l'objet est un belle institutrice, mais celle-ci est veuve et pas encore prête à refaire sa vie : après avoir été déstabilisée par la cour que lui font successivement Max Fischer et Herman Blume, elle assiste à leur affrontement, qui précipite leur chute et motivera leur réconciliation.

Produite avec un budget dérisoire (Anderson évoluant dans cette zone floue qu'est le cinéma indépendant américain, capable d'attirer d'excellents acteurs et l'attention lors des remises de prix sans pourtant bénéficier de l'appui solide et constant d'un gros studio), cette comédie impressionne d'abord par la qualité de son interprétation : le cinéaste y dirige deux des comédiens qui vont devenir des habitués de son monde, l'extraordinaire Jason Schwartzman (18 ans à l'époque du tournage) et le génial Bill Murray (incomparable dans cette impassibilité qui suggère tour à tour l'humeur blasée, amusée, charmeuse - un sommet d'underplay - et d'une classe folle). Entre eux deux, Olivia Williams, une des plus belles actrices britanniques, à la finesse de jeu épatante (capable de vous émouvoir avec son sourire triste comme de vous estomaquer en assénant des punchlines agressivement vulgaires quand elle est excédée par un de ses courtisans - comment se fait-il qu'un tel talent, assorti d'un tel charme, n'ait pas une meilleure carrière ?), réussit à exister, et même mieux : son personnage équilibre et dynamise le film en en devenant l'enjeu.

Les seconds rôles sont tous fabuleux, portés par des interprètes de premier ordre (Brian Cox, Luke Wilson - frère de Owen - , Seymour Cassel, Sara Tanaka, Mason Gamble).

Pour une telle distribution, il faut une écriture narrative et visuelle ciselée. C'est ce qui distingue Anderson du tout-venant : le soin maniaque avec lequel il compose ses plans, jouant sur la symétrie, employant des travellings latéraux, des champs-contrechamps vifs (sans être hachés), tout évoque un esthète travaillant ses images avec des motifs visuels très puissants. Quoique très dialogué, son cinéma puise dans l'énergie du muet, chez Chaplin et Keaton, avec cette rigueur imparable. Chaque élément est comme un instrument intervenant au bon endroit, au bon moment, avec une efficacité maximum.

Le foisonnement de détails est aussi remarquable dans le scénario, depuis les innombrables clubs animés par Max (fondateur des pilotes de kart, metteur en scène de la compagnie de théâtre à son nom, membre du club d'aviation, éditeur de la "Yankee review", président du club de français, représentant de la Russie dans le programme des Nations Unies, vice-président du club de philatélie, capitaine des joutes verbales, manager de l'équipe de la Crosse, président du club de calligraphie, fondateur de la société d'astronomie, capitaine de l'équipe d'escrime, espoir junior de décathlon, directeur de la chorale, fondateur de l'équipe de ballon prisonnier, ceinture jaune de kung-fu, fondateur du club de ball-trap, président des apiculteurs) jusqu'aux mesquineries accompagnant le duel entre lui et Blume, en passant par les échanges ambigus pour séduire Miss Cross, les mensonges sur le père, les rapports entre Herman et ses deux fils (des brutes épaisses), les soupirs du docteur Guggenheim, l'amitié compromise avec Dirk Calloway, l'affection de Margaret Yang... Tout est si merveilleusement traité là-dedans, avec ce parfait dosage d'absurde et de tendresse : quel brio pour un deuxième film ! 

La bande son est un régal, qui contribue encore au plaisir, abondante en chansons majoritairement folk et compositions jazz.

N'hésitez pas : inscrivez-vous, vous aussi, à Rushmore !

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