jeudi 9 juin 2016

Critique 915 : LA GRANDE EVASION, de John Sturges



LA GRANDE EVASION (en v.o. : The Great Escape) est un film réalisé par John Sturges, sorti en salles en 1963.
Le scénario est adapté du récit de Paul Brickhill par James Clavell et W. R. Burnett. La photographie est signée Daniel L. Fapp. La musique est composée par Elmer Bernstein.
Dans les rôles principaux, on trouve : Steve McQueen (capitaine Virgil Hilts dit "cooler king", "le roi du frigo"), Richard Attenborough (commandant Richard Bartlett dit "le Grand X"), James Garner (capitaine Bob Hendley dit "le chapardeur"), Donald Pleasance (Colin Blythe dit "le faussaire"), James Coburn (Louis Degwick dit "le matériel"), Charles Bronson (lieutenant Daniel Wellinski dit "le roi du tunnel"), David McCallum (commandant Eric Ashley-Pitt dit "la dispersion"), Hannes Messemer (commandant Von Luger).
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1943. Pologne. Le Stalag Luft III est sous la direction du commandant allemand Von Luger et reçoit plusieurs nouveaux prisonniers alliés, en majorité britanniques. 
Le commandant Von Luger
(Hannes Messemer)

Parmi eux se trouve le commandant Richard Bartlett, qui décide rapidement d'organiser une évasion massive en faisant creuser un tunnel qui aboutira aux abords de la forêt voisine.
Le commandant Richard Bartlett
(à gauche : Richard Attenborough)

Le lieutenant Daniel Wellinski, bien qu'il souffre de claustrophie, est un expert de ce genre de chantier et mène les travaux.
Le lieutenant Daniel Wellinski
(Charles Bronson)

Les autres soldats détenus dans le camp contribuent, tous à leur manière, à la réalisation du projet en fournissant du matériel pour l'équipe du souterrain (mission menée par Louis Sedgwick et le capitaine Bob Hendley), confectionner des vêtements civils, des faux papiers d'identité (cette tâche est conduite par Colin Blythe, dont la vue baisse jusqu'à ce qu'il devienne totalement aveugle peu avant l'évasion), préparer la sortie du camp et la dispersion des fugitifs (c'est le commandant Eric Ashley-Pitt qui se charge de cette partie)...
Colin Blythe et le capitaine Bob Hendley
(Donald Pleasance et James Garner)

Il faut aussi composer avec un élément inattendu : le capitaine Virgil Hilts, un aviateur américain, qui a déjà tenté à une vingtaine de reprises de se faire la belle en solo, mais qui, cette fois, accepte de prêter main forte aux anglais.
Le capitaine Virgil Hilts
(Steve McQueen)

La grande évasion aura bien lieu, malgré de nombreux aléas, mais plusieurs prisonniers se feront reprendre et d'autres y laisseront la vie...
Louis Sedgwick
(James Coburn)

Inspiré de faits réels relatés par Paul Brickhill, un prisonnier de guerre australien, le film est une épopée de près de trois heures réalisée par John Sturges, un cinéaste certes classique mais solide, comme en témoignent des titres tels que Un homme est passé (1954, avec Spencer Tracy), Règlements de comptes à O.K. Corral (1957, avec Burt Lancaster et Kirk Douglas), Le vieil homme et la mer (1958, d'après le best-seller de Ernest Hemingway, avec Spencer Tracy) et Les 7 mercenaires (1960, avec Yul Brynner).

Pour ce réalisateur aguerri, habile à diriger les plus grandes stars, à respecter les budgets et à servir tous les genres d'histoires, cette évocation de la seconde guerre mondiale à travers la vie dans les camps de prisonniers est l'occasion une fois encore de disposer d'un casting prestigieux, au sein duquel il retrouve plusieurs de ses iconiques Mercenaires : Charles Bronson, James Coburn et surtout Steve McQueen. Ce dernier a vite conscience qu'il tient là le rôle qui fera de lui une grande vedette : il a raison et même davantage qu'il ne le pense puisqu'il y gagnera son surnom de "king of cool".

Pourtant le tournage sera houleux : Bronson prendra ombrage du fait que McQueen veuille voler la vedette, en exigeant la réécriture (à l'avantage de son personnage) de nombreuses scènes après avoir visionné les premiers rushes. Ce sera la première d'une longue série de clashs d'egos, sur laquelle les acteurs garderont le secret pendant longtemps (avant d'en rire lors du cinquantième anniversaire du film) : ainsi McQueen était-il jaloux de James Garner dont le rôle de "chapardeur" suscitait une sympathie immédiate et possédait un look vestimentaire très chic pour un soldat prisonnier, mais le comédien joua les médiateurs entre le réalisateur et son rival quand celui-ci menaça de quitter le tournage (il corrigea quand même McQueen en lui assénant : "Tu veux jouer un héros, mais ne rien faire d'héroïque.").

Bronson, toujours aussi susceptible, jouant souvent aux cartes avec d'autres acteurs, dont Garner, trichait ostensiblement mais n'apprécia pas qu'on l'accusa lors d'une partie et fut tout près d'en venir aux poings - ses adversaires se résignèrent devant le colosse ! Donald Pleasance, grand amateur de bolides comme McQueen, fanfaronnait au volant d'une jeep de l'équipe technique quand il ne prétendait pas donner des leçons d'Histoire sur les véritables conditions de détention des prisonniers de guerre.

Tous ces héros ne se comportaient pas très héroïquement...

Il n'empêche, ces tensions sont imperceptibles à l'image. Au contraire, on y voit une troupe formidablement dirigé, dont chaque membre livre des prestations inoubliables - et ce, même si les acteurs américains ne s'entendaient pas avec leurs partenaires anglais, de l'aveu même de David McCallum (l'infortuné interprète du commandant Ashley-Pitt subit même l'humiliation suprême en assistant au coup de foudre de son épouse d'alors, Jill Ireland, pour Charles Bronson, dont elle devient la compagne quatre ans plus tard !). Les critiques, lors de la sortie du film, ne furent d'ailleurs pas tendres, allant même, pour certains, jusqu'à déclarer que les allemands étaient plus sympathiques que leurs prisonniers dans cette histoire !

L'aspect esthétique du film fut aussi discuté, et là, c'est injuste : bien que l'action se déroule aux 3/4 à l'intérieur du Stalag, le récit n'est jamais ennuyeux grâce à l'abondance de péripéties et une image tirant le meilleur parti des baraquements gris du camp et de la forêt verdoyante alentour (faute d'avoir trouvé un décor satisfaisant en Californie, la production consentit à s'installer en Bavière, inspirant à John Sturges cette pensée laconique : "Finalement rien ne ressemble plus à l'Allemagne que l'Allemagne.").

On suit avec passion, amusement, tension, les tentatives solitaires de Hilts pour s'échapper (ce qui lui vaut, de retour au camp, des séjours à l'isolement, dans une cellule appelée "le frigo"), les mille et une astuces des prisonniers pour creuser le tunnel (avec les tourments que cela occasionne : éboulements, évaluation de la distance, crises de claustrophobie de Danny) et dissimuler la terre du sous-sol, fabriquer des habits civils, des faux papiers (la cécité qui gagne Blythe est source d'angoisse et d'émotion, son amitié avec Hendley est aussi touchante), se procurer des équipements divers (le flegme de Coburn est irrésistible)... Sans oublier des parenthèses narratives humoristiques (la distillerie d'une gnôle à base de pommes de terre particulièrement corsée).

La dernière partie, hors du camp, permet à Sturges de démontrer tout son savoir-faire pour orchestrer des scènes spectaculaires, aux issues souvent poignantes ou ironiques : Hendley guidant Blythe jusqu'à un avion, Sedgwick lisant "Libération" (qui était à l'époque de l'histoire un journal clandestin), le piège qui se referme dans une gare sur le "grand X", et surtout le morceau de bravoure inoubliable où Hilts tente de semer à moto les allemands en voulant sauter par-dessus les barbelés de la frontière suisse (ce n'est pourtant pas Steve McQueen, motard chevronné, qui exécute cette cascade avec une Triumph Trophy TR6 mais son ami Bud Ekins. L'acteur, lui, tient le guidon d'une moto allemande aux trousses de son personnage ! Et Garner expliquera plus tard que, la scène en boîte, lui, Coburn et McQueen s'amusèrent à la reproduire, en la réussissant facilement : de quoi encore plus maudire les assureurs trop frileux !).

Il ne faut bien entendu pas oublier de mentionner la musique magnifique, incroyablement entêtante, composée par Elmer Bernstein, qui accompagne jusqu'à la fin cette fresque dont le parfum mêle la défaite frustrante et la victoire bravache de manière inextricable et si plaisante.

Un classique indémodable, qui synthétise idéalement tout ce que le cinéma d'action avait de cool dans les années 60, avec une bande d'acteurs au charme irrésistible, sublimée par un cinéaste qui savait aussi bien gérer ces fortes personnalités que raconter intelligemment cette histoire virile sur le sens du sacrifice et de la liberté.

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